Le père Alexandre Men : un pasteur pour les temps de sécularisation


Le père Alexandre Men : repères biographiques

père Alexandre Men (1982)

Il naît le 20 janvier 1935, à Moscou, dans une famille juive non-pratiquante, au plus fort de la répression stalinienne.

Sa mère, qui venait de trouver la foi dans le christianisme orthodoxe, le fit baptiser en secret, en même temps qu’elle, par le père Séraphin, un moine qui se cachait à Zagorsk (redevenu aujourd’hui Serguiev-Possad). Ce moine assura la direction spirituelle de la famille Men pendant plusieurs années.

Très tôt, il s’intéressa à l’étude des sciences, de la philosophie et de la théologie. Après des études de biologie à l’Institut de la fourrure de Moscou et d’Irkoutsk, il fut exclu en raison de son profil religieux et ne put les achever. En 1956, de retour dans la région de Moscou, il entreprit des études de théologie par correspondance et fut ordonné diacre le 1er juillet 1958, puis prêtre le 1er septembre 1960.

En 1956, il épousa Natalia Grigorenko, qu’il avait rencontrée à l’Institut de la fourrure. Leur premier enfant avait un an quand il fut envoyé comme diacre dans une petite paroisse des environs de Moscou.

Après avoir desservi plusieurs paroisses dans la région, il fut nommé en 1970 à Novaïa Derevnja, où il exerça son ministère jusqu’à son assassinat, dans des conditions non élucidées, le 9 septembre 1990, près de son domicile à Semkhoz.

Il n’avait été nommé curé de Novaïa Derevnja qu’en 1989. Durant les derniers mois de sa vie, profitant de la liberté relative permise par la nouvelle politique religieuse du pouvoir « gorbatchevien », il déploya une intense activité. On le vit donner des conférences dans des cercles variés, préparer des publications et participer à des émissions de radio et télévision. Au lendemain de son assassinat, il fut découvert que plusieurs bandes sur lesquelles il avait enregistré, à l’avance, des émissions, avaient été démagnétisées.

Un pasteur pour les temps de sécularisation

père Alexandre avec ses enfants spirituels

Le père Alexandre Men a été le prêtre d’une « nouvelle génération de croyants » en recherche spirituelle dans l’URSS des années Brejnev. Sa renommée s’est répandue de bouche à oreille. À une époque de « persécution feutrée », il enseignait, baptisait chaque mois plusieurs dizaines d’adultes. Comprenant l’importance de la dimension communautaire de la vie chrétienne, il organisait dans la clandestinité des groupes de prière, de catéchèse, d’études bibliques. Grâce à une vaste érudition théologique acquise en dépit des difficultés d'accès aux ouvrages étrangers, il a écrit, pour prolonger son enseignement oral, une quinzaine de livres, publiés en russe sous des pseudonymes en Belgique, puis introduits clandestinement en URSS. Il commença par une vie de Jésus Christ conçue comme une introduction à la lecture de l’Évangile. On lui doit aussi une grande histoire des religions du monde, en six volumes. Elle était destinée à montrer les longues recherches spirituelles de l’humanité jusqu’à la Révélation chrétienne. Il était également très soucieux d’introduire en Russie les données de la science biblique contemporaine.

Ses ouvrages sont un véritable enseignement catéchétique pour un monde sécularisé et, en particulier, auprès de nombreux représentants de l’intelligentsia (intellectuels, scientifiques, artistes) qui venaient le consulter et diffusaient ses œuvres.

L’attitude à son égard au sein de l’Église orthodoxe russe a progressivement évolué. Après un violent rejet, on a reconnu la valeur de son ministère, mais pour le considérer comme dépassé, lié à une époque révolue. Puis, en surmontant leurs préjugés, des prêtres ont reconnu qu’il ne contenait rien de contraire à la doctrine orthodoxe. Depuis 2006, un colloque lui est consacré chaque année sous l’égide du patriarcat de Moscou à Semkhoz, à proximité de Moscou, dans la bourgade où il habitait et où il a été tué. On découvre à présent que son œuvre pastorale peut être une source d’inspiration pour les temps de sécularisation et de post-chrétienté, dans des sociétés où l’on ne naît plus chrétien, mais où on le devient.

Prophète d’un christianisme ouvert, tourné vers l’avenir

Pâques 1964,  avec ses paroissiens 

Le 8 septembre 1990, la veille de sa mort tragique, le père Alexandre Men donnait une conférence à la Maison de la technique de Moscou, intitulée : « Le christianisme ne fait que commencer ».

Le père Alexandre avait compris que la Tradition n’était pas figée dans le passé, mais vivante dans la Vie de l’Esprit, animée d’une dynamique tournée vers le Royaume, déjà présent et à venir.

Tout au long de sa vie, il annonça un christianisme ouvert, attentif à tous, en dialogue avec le monde, afin d’y proclamer l’Évangile.

Il prônait également un christianisme ouvert au dialogue œcuménique et aux relations inter-religieuses, convaincu que « le chrétien est ouvert à tout ce qu’il y a de valable dans les confessions chrétiennes et les croyances non-chrétiennes - Jn 3,8 ;4,23-24 » (point III de son exposé sur les traits essentiels d’une conception chrétienne du monde selon la Parole de Dieu et l’expérience de l’Eglise : Ce que je crois ).

Viendrait un temps où serait conservé « tout le meilleur de la culture spirituelle de l’homme et, à l’intérieur de l’homme, l’image et la ressemblance de Dieu » (conférence du 25 janvier 1989 à la Maison de la culture de l’usine des lignes automatiques de Moscou).

Certes, du fait de l’absence de liberté de circulation à l’époque soviétique, ses contacts avec le monde extérieur se limitaient dans la plupart des cas à des échanges épistolaires, souvent clandestins. Ce n’est que dans les toutes dernières années de sa vie, et surtout après sa mort, que l’on a pris pleinement conscience de l’ampleur de son héritage, aussi bien dans le monde orthodoxe que non orthodoxe.

Un prêtre, nourri par la Bible, ancré dans la foi en la résurrection du Christ

Les icones dans le bureau du père Alexandre

À la fois homme d’études et de prière, le père Alexandre puisait sa force dans une lecture assidue de la Bible et dans son ouverture inconditionnelle au Christ.

Pour lui, la prière «pouvait progressivement s’infiltrer dans tous les recoins de notre vie quotidienne … La prière perpétuelle était une chose normale, le but de la vie chrétienne» (Manuel pratique de prière).

Il évoquait souvent, dans ses sermons et ses enseignements catéchétiques, la prière comme action de grâces et mise en présence de Dieu. Il rédigea un Manuel pratique de prière, diffusé en d’innombrables exemplaires dactylographiés auprès de ses enfants spirituels.

Le nom du père Alexandre est étroitement associé au renouveau des études bibliques en Russie. « Sa principale passion, en tant que pasteur et érudit, en tant qu’ecclésiastique et liturgiste, en tant qu’écrivain, était la Bible » (père Michel Meerson-Aksenov). Connaissant plusieurs langues, dont le grec et l’hébreu, ainsi que les recherches bibliques occidentales, il comprit qu’il lui revenait d’introduire la science moderne dans l’exégèse orthodoxe, mission à laquelle il se consacra pleinement. Quelques mois avant sa mort, il participa à la création de la Société biblique en Russie et de la revue Le Monde de la Bible.

Sa spiritualité était abondamment nourrie par sa fréquentation de la Bible, mais, plus encore, sa foi en la résurrection du Christ et dans le primat de l’amour constituait le moteur de sa vie.

« Le christianisme, c’est la sanctification du monde, la victoire sur le mal, sur les ténèbres et le péché. Cette victoire a commencé la nuit de la résurrection. Elle continue et continuera, tant que le monde existe, existera. » (Dernières paroles de la conférence Le christianisme ne fait que commencer, le 8 septembre 1990, veille de sa mort tragique).

Un artisan de l’universalité de l’Église

Comme l’écrivait l’un de ses enfants spirituels, le critique de cinéma Andreï Bessmertny, «le père Alexandre Men n’était pas seulement un prêtre. Sa personnalité, ses œuvres et ses jours font désormais partie de l’héritage de l’Église universelle».

À sa mort, le cardinal Jean-Marie-Lustiger, qui l’avait rencontré quelques mois auparavant, lui rendit un émouvant hommage, déclarant qu’en le rencontrant, « il avait eu le sentiment de le connaître depuis toujours, comme un frère et un ami qui lui demeurerait proche à jamais».

Le 27 octobre 2008, le cardinal André Vingt-Trois, venu à Novaïa Derevnia, pour se recueillir sur la tombe du père Alexandre, soulignait le caractère universel de son héritage : « L’expérience pastorale du Père Men est exemplaire par le courage qu’elle manifestait en des temps de persécution où, selon son évêque le métropolite Juvénal, “au milieu de la nuit, il annonçait la lumière du Christ”. Elle est également exemplaire par l’investissement intellectuel consenti pour arriver à une compréhension profonde de la mentalité contemporaine… C’est ce qui lui confère un caractère universel et toujours précieux alors même qu’il n’est plus là. »

En juin 2010, le père René Marichal, un jésuite français qui a beaucoup œuvré pour faire connaître le père Alexandre en Europe occidentale, témoignait :

«Je dois dire que ce qui a particulièrement attiré les Occidentaux dans l'enseignement du père Alexandre, c'est qu'il était naturellement œcuménique. Ce que j'entends par là, c’est que, pour le père Alexandre, la parole de Dieu et l'Évangile qui la contient n'étaient pas la propriété de l'orthodoxie, à laquelle il appartenait cependant sans réserve. Le père Alexandre était au-dessus des restrictions confessionnelles, et c'est sans doute ce qui lui a attiré un public aussi large dans son pays ; souvenons-nous de la conférence qu'il a donnée, sur invitation de la communauté baptiste, au stade olympique de Moscou, à Pâques 1990, devant 15.000 personnes.»

Sur proposition de la Conférence des évêques catholiques de France, le père Alexandre figura parmi les «Témoins de la foi du XXe siècle» évoqués lors d’une cérémonie œcuménique présidée par le Pape Jean-Paul II au Colisée de Rome, le 7 mai 2000.

Ressources bibliographiques (en français)

Ouvrages du père Alexandre Men

Ouvrages sur le père Alexandre Men

père Alexandre Men à la machine à écrire

photos : www.alexandrmen.ru